Essai : La vie en héritage

La vie comme un art

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Elle avait été désirée par ses parents fous d'amour l'un pour l'autre. Ils s'aimaient tous les deux, mais avaient conscience de leur environnement, leur éducation... Le poids de leur héritage... Ils ne souhaitaient que le bonheur de leurs enfants. Une vie douce, libre, joyeuse et plus authentique que celle qu'ils avaient eux même reçu par leur naissance. Il était beau, fringant jeune homme plein de promesse, promis à diriger les affaires de sa famille et de son clan. Elle était pire. Magnifique, hypnotique, d'une élégance rare et d'une beauté indéniable. Je ne savais pas qu'il pouvait y avoir des femmes comme elle. Je n'en avais jamais vu avant elle. Enfin, si. J'avais bien vu ma mère dans sa jeunesse, mais elle s'était acharnée à cacher tout ça dès notre arrivée en France et ma mémoire avait alors oublié les belles femmes élégantes. En réalité, à part ma mère, je ne croyait pas qu'il était possible d'être comme "ça". Ce charisme. Cette beauté si légère, si naturelle et quasi logique en même temps que puissante, imposante et écrasante. Même si elle avait voulu se faire la plus petite possible, je crois que son seul sourire, son seul regard aurait séduit le monde entier... Jeanne-Irène Biya... Je trouvais à travers son image... Je vais encore pleurer.

Je trouvais à travers son image l'explication de tout ce que j'étais. De tout ce que ma mère était ! C'était pire qu'une révélation, c'était une victoire !!! Une victoire sur ma mère, en tout premier et une explication à mon échec permanent ! Je ne pouvais pas réussir à être aussi belle, dégourdie et intelligente que ma mère parce que je n'étais pas la fille de Jeanne-Irène, mais sa petite-fille qui ne l'avait pas connu. J'étais alors "seulement" la fille de ma mère et alors il faudrait m'accepter comme telle et arrêter de me demander d'être Jeanne-Irène et accepter que je ne sois que Jeannine Carole... Jeannine, Carole, Sabine, du prénom de la femme que j'ai toujours connu comme ma grand-mère et que j'ai considéré et considérerai toujours comme telle. Ma grand-mère porteuse en quelque sorte. J'avais en moi des traits, des gestes de Jeanne-Irène, mais j'étais la tendresse et la fourberie de Sabine. Mon prénom, ce prénom que j'ai tant caché moi même pour qu'il me laisse en paix, disait tout de mon histoire et de ce que j'étais en face de cette photo. J'étais le fruit de Jeanne-Irène et Sabine et on me laissait le droit d'être Carole. Juste Carole. Comme je l'avais moi même choisi. Ils avaient réussi. Ils avaient extrait du ventre de ma grand mère le fruit de leur amour pour le faire porter dans le peuple, en paix, dans la joie, l'amour, la vie, le travail, l'authenticité. Pendant qu'ils enduraient hypocrisie, luxure, faste, bêtise et appétit féroce...

Et j'avais moi même était conçu pour l'amour, par amour... Ils m'avaient sélectionné pour que je sois résistante au milieu de la maladie, malgré la maladie... J'étais faite par un malade, pour vivre parmi les malades, loin de l'élégance... Au coeur de l'authentique. Ils me voulaient une vie douce... Et voilà, je pleure.

Ils se sont acharné, tous, ensemble à me faire une vie la plus douce possible. Pendant que d'autres, qui nous avaient trouvé s'acharner à me la rendre la plus pourrie possible. Rien n'était jamais simple pour moi... Et ce n'était la faute de personne. Tout ce que j'étais, tout ce que je représentais, tout moi était d'une complexité sans nom...

Des gens, sains, féconds, fertiles, avaient arraché leur ventre, s'étaient priver de porter la vie en eux, s'étaient associé, tous ensemble, pour permettre à un homme et une femme hors norme, exceptionnelles, de donner la vie.

Pendant des années... 40 ans moins 2 mois, je n'ai absolument jamais su que j'étais qui je suis. J'ai plusieurs fois demandé, mais on ne m'a pas répondu. Jamais de ma vie je ne pouvais me douter de "ce que" je suis... Je ne suis pas une personne. Voilà pourquoi je n'ai pas le droit d'être une personne. Voilà pourquoi je me suis tant battue pour être juste "normale". Parce qu'on ne me l'autorise pas et qu'en réalité, quoi que je fasse et qui que je puisse être, on ne me l'autorisera jamais. Parce que je suis un héritage. Moi. Pas l'argent, pas les terres, pas les biens : moi. Je suis un héritage que certains espèrent comme un médicament alors que d'autre le redoutent comme un poison. Comment aurais-je pu être aimé pour moi, après 40 ans à être regardé comme un héritage... Cette photo de Jeanne-Irène était ma victoire. Au bout de 40 ans, je gagnais la beauté de son visage et pouvait y coller celui de ma mère. Je pouvais enfin narguer amoureusement ma mère en lui disant qu'elle n'a donc pas tant de mérite à être si parfaite puisqu'elle est le fruit de sa mère et de son père !

Je n'oublierais jamais ma réaction... Chez moi, à table, en train de manger avec mes filles... Les yeux vagabonds sur la nappe ou je ne regardais même plus le logo, les dessins, le visage de toute mon enfance et toute ma vie. Ce visage là avait accompagné toute ma vie, me donnant une continuité. Je ne pensais pas grand chose de lui, il était juste là. Je le trouvais magnifique et je gardais amusé mon rêve d'enfant d'épouser un jour le Président du Cameroun s'il me trouvait assez belle... C'était la private joke familiale qui me faisait vouloir être la plus belle possible, au cas où. J'étais donc en confiance avec lui. Il me rassurait. Je le mettais partout, sans même me rendre compte de quoi que ce soit. Je crois que j'aimais la provocation que cela signifiait. J'aimais voir les Camerounais réagir à sa tête... C'était comme si on avait, ce visage et moi, notre propre petit jeu de provocation. Comme si je disais avec lui "Et oui je suis Camerounaise et oui je le porte et tu vas faire quoi ? Vote.".  Je ne pensais pas que c'était à moi de donner des leçons ou quoi que ce soit, je pensais juste que ce visage depuis 40 ans était la synthèse de la volonté du peuple Camerounais qui avait assez d'intelligence -parce qu'ils en ont plein- et de force, pour choisir le visage de leur tête. Et depuis 40 ans, c'était lui. Son pouvoir avançait avec mon âge. On marchait ensemble. Il gouvernait, je grandissais.

Quand j'ai ouvert ma boutique, je l'ai mis à l'entrée. Ne me demandez pas pourquoi. Parce qu'il parlait de moi... De mon enfance volé... De ce que je suis qu'on ne veut pas que je sois. De ma profondeur. De mon identité.

J'en ai fait une cape. Quelqu'un a voulu me l'acheter à n'importe quel prix alors qu'elle n'était même pas fini... Je n'avais même pas de quoi donner à manger à mes enfants. La cape est encore accrochée derrière la porte de ma chambre, 7 ans plus tard.

Quand j'ai eu mon appartement, je l'ai déplacé de la boutique à chez moi... Au début, il était dans ma chambre, mais je ne peux pas faire chambre commune avec lui. Aux dernières nouvelles, il n'est jamais venu me chercher pour m'épouser et j'ai attendu tout ce temps. Alors j'ai pensé le mettre dans la salle de bain, là où je passe tant de temps, mais ça n'allait pas du tout non plus. Il a fini sur la terrasse. Et c'est la place parfaite !

Parce que je sais qu'ils me regardent depuis que je suis petite et j'aime que la première chose qu'il voit de chez moi, soit lui. Il garde ma Maison, avec une autre femme en boubou dans un cendrier qui accueille les gens à la porte. On croit que je vis isolée, mais plus entourée que moi c'est rare je crois...

Et on en était là. Face à face, ma mère jouant dans mon cerveau avec son ami à me dire en riant que Paul Biya est son père... Mes yeux clochards sont tombés sur ses yeux fixes que je connais par coeur et là une porte s'est ouverte. Une connexion s'est faite. Sur ce visage que je ballade dans mon sac à main en doublure, sur ce visage qui accueille tous ceux qui ne viennent jamais sur ma terrasse, sur ce visage qui n'est jamais venu m'épouser... J'ai vu... Ma mère.

"Ouh putain."

La sidération.

Le visage, ce visage, son visage, c'était le visage de ma mère, mon visage. Elle était son portrait !!! Elle était lui en fille !!! Et en regardant sur Internet, elle était lui et enfin, elle était ELLE !!! Je la trouvais enfin ! Après 40 ans moins 2 mois, je la trouvais enfin, l'élégance de ma mère, cette femme que je cherchais pour m'apprendre à devenir parfaite, comme ma mère, elle était là. Ma grand-mère...

Je comprenais alors l'âge de ma mère, son dégôut des anniversaires, son comportements avec moi, son "immaturité" éternelle en même temps que sa sagesse de vieillard. Je comprenais des bouts de mon enfance, des pans entiers de ma vie d'adulte tombaient, des fantômes se réincarnaient pour disparaitre de leur belle mort. Des vivants perdaient le statut d'humain, je comprenais...

Toute ma vie, tout... Le monde entier prenait un autre sens. Je... J'étais sensé donner à ma vie un autre sens.

Mais je refusais. De butte en blanc et jusqu'à aujourd'hui, je refuse de balayer 40 ans de travail, de mon travail, un travail acharné pour devenir, être et rester quelqu'un de normale, pour incarner quelque chose que je dois être dans les yeux de ceux qui m'ont regardé souffrir sans bouger un petit doigt, sans un mot, sans un regard... Une consolation. J'ai toujours était celle que je dois être, pour répondre aussi à la volonté de ceux et celles qui se sont sacrifiés pour que je vive cette vie là, même si je ne pensais pas que c'était ceux là... Ceux qui m'ont permis en s'arrachant les tripes de me donner cette toute petite vie : la vie que je veux. Qu'on m'aime ou pas. Comme tout le monde.

Je suis très fière de tous ces visages que je peux reconnaitre sur le mien et mon voeux est que nous puissions un jour nous retrouver...

Même si on ne veut toujours pas m'épouser. (J'attends encore !!!)

Merci. De tout mon coeur. Merci.

Pour la vie.


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